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elle attendait, appuyée à la claire-voie, cherchant à distinguer le chapeau d’Éline, un bout de ses tresses, dans cette foule de gens pressés, effarés, portant des paniers, des bouquets, égouttant encore leurs parapluies ou des vêtements flasques et trempés par l’averse, se bousculant à qui arriverait le premier aux voitures, avec des cris étranglés : « Prenez le chien… portez l’enfant… »

Mais elle avait beau se pencher vers la porte, se hausser, regarder par-dessus la grille ou le bras d’un douanier jusque sur le quai où s’alignaient les wagons luisants et vides, le chapeau noir d’Éline demeurait invisible. D’abord la mère ne s’effraya pas, expliquant le retard avec ce déluge imprévu. Bien sûr, sa fille arriverait par le train suivant ; un peu tard seulement, car d’ici huit heures il n’y avait plus que l’express, qui ne s’arrêtait pas à Ablon. Elle prit gaîment son parti, se mit à marcher dans la longueur de la salle déserte, où le gaz qu’on venait d’allumer secouait sa flamme au vent humide et se reflétait sur les pavés inondés de la cour. Un moment le sifflet de l’express agita la gare d’un piétinement, d’un bruit de voix et de brouettes rouantes ;