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d’une tristesse atrophiante cette nature de plein air encore à un âge de croissance. L’enfant disait :

« Je m’ennuie… Je veux m’en aller chez nous… » Anne de Beuil la grondait, la terrorisait, l’empêchait de sortir.

Et tout à coup la néophyte tomba dans une faiblesse singulière, coupée de crises nerveuses, de visions lui révélant les mystères du ciel et de l’enfer, le supplice des damnés, la joie des élus à la table divine, tour à tour l’inondant de délices extatiques ou faisant claquer ses dents de terreur. La paysanne prêchait, prophétisait, dressait sur le lit son corps maigre, convulsé de désordres intérieurs, avec des cris qui remplissaient tout le parc. « J’entendions ses plaints du dehors… » disait la malheureuse mère, qu’on tenait à distance, sous prétexte d’émotion dangereuse pour la malade. Elle entra, quand sa fille ne pouvait reconnaître personne. L’agonie commençait, muette, tétanique, aux dents serrées, avec une dilatation extraordinaire des pupilles, qui subitement éclaira le médecin sur la cause de cet étrange décès. Elle avait dû cueillir dans le parc des baies de belladone, les manger par mégarde pour des cerises.