Page:Daudet - L'Évangéliste, 1883.djvu/17

Cette page n’a pas encore été corrigée

que grand’mère lui a appris à lire et à coudre.

Pendant que Mme Ebsen courait dehors pour ses leçons d’allemand, la petite Lina restait assise sur ce tabouret aux pieds de la vieille Danoise qui lui parlait de son pays, lui racontait les légendes du Nord, lui chantait la chanson de mer du « roi Christian », car son mari avait été capitaine de navire. Plus tard, quand Éline a su gagner sa vie à son tour, c’était encore là qu’elle s’installait en rentrant. Grand’mère, la trouvant à sa place de fillette, continuait à lui parler avec la même tendresse protégeante ; et dans ces dernières années, l’esprit de la vieille femme s’affaiblissant un peu, il lui arrivait de confondre sa fille avec sa petite-fille, d’appeler Lina « Élisabeth », du nom de Mme Ebsen, de lui parler de son mari défunt, brouillant ainsi leurs deux personnalités qui n’étaient dans son cœur qu’une seule et même affection, une maternité double. Un mot la ramenait doucement ; alors elle se mettait à rire. Oh ! ce rire angélique, ce rire d’enfant entre les coques du petit bonnet, c’est fini, Éline ne le verra plus. Et cette idée lui prend tout son courage. Ses larmes, qu’elle comprime depuis le matin à cause de sa mère