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triomphalement le plateau sur une table longue servant de dressoir, quand cette table résonna tout à coup sous le linge qui la recouvrait.

« Tiens !… un piano. »

C’était un vieux clavecin acheté à la vente d’un de ces anciens châteaux, comme il en reste encore sur cette côte de la Seine. Après avoir mené des gavottes et des menuets à paniers, le clavecin démodé servait à amuser les Parisiens du dimanche dans une salle de guinguette, épuisant ses derniers sons pour « l’amant d’Amanda » ou « la Fille de l’emballeur ». Mais sous les doigts délicats d’Éline, il retrouva un moment son charme grêle, sa voix mélancolique et courte, bien en rapport avec le jaune ivoire des touches.

Quand la jeune fille, qui n’avait plus joué depuis son deuil, commença la ritournelle du vieil air national : Danemark, avec tes champs et tes prairies splendides… on eût dit que grand’mère elle-même, de son souffle chevrotant et cassé, évoquait sur l’horizon en face les verts pâturages, les blés mouvants, la nature large et lumineuse.