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cents mètres en amont et en aval de son écluse ; et le fumet de ce plat campagnard, les explications de l’éclusier, l’appétit gagné par la course sur l’eau, firent diversion à cette sinistre légende locale, vite évaporée d’ailleurs au vent frais qui venait de la Seine et la rebroussait toute, devant la terrasse, en mille petites écailles d’argent, dont le mouvement et la clarté moiraient de reflets dansants les verres, les carafes, la nappe jaune et rude. Un petit vin de Bourgogne, ce vin que les mariniers donnent en paiement dans les auberges riveraines, achevait d’égayer la fête allumée déjà par les rires des enfants et la joie folle de Romain attablé sur le rebord de la croisée, à côté de Sylvanire.

Qu’il était heureux, le brave petit éclusier, de ce déjeuner en compagnie de sa femme, le premier peut-être depuis deux ans, depuis leur mariage ; un vrai retour de noces. Mais cela ne l’empêchait pas de surveiller la bombance, d’aller de la cuisine à la table où ses invités ne devaient manquer de rien ; et même, le « pensionnaire chéri » voulut faire de ses mains le café à l’algérienne comme l’aimait son ancien maître, tout le marc au fond de la tasse. Il posait