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où la tenait le manque d’argent. Comment partir seule, maintenant, chez les infidèles ?

La pensée lui vint d’entrer aux diaconesses de la rue de Reuilly ; mais elle savait l’esprit et la règle de la maison, et que ces religieuses à demi civiles s’occupent surtout de visiter, de soigner les maux et les misères. Or, le souci de la guenille humaine l’écœurait, et la pitié lui semblait irréligieuse, puisque les plaies, morales ou physiques, sont autant d’épreuves bénies qui doivent nous rapprocher de Dieu.

Un jeudi, on l’appela au parloir où elle trouva la vieille mère Autheman, dans son éternelle capote blanche et ses gants clairs, informée de la rupture avec le missionnaire, et venant demander à Jeanne d’épouser son fils. La Lyonnaise voulut une semaine pour réfléchir. Elle avait vu souvent à Petit-Port ce grand garçon taciturne, assombri par l’infirmité de sa figure, essayant de cacher à table sous sa main le bandeau noir que ballonnait son affreux mal, et, comme il arrive aux visages voilés ou masqués, concentrant dans ses yeux une acuité, une ardeur extraordinaire. Elle y pensa, de souvenir, sans frayeur. Tous les hommes à présent se ressemblaient et se valaient