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et la géographie à Paris, chez Mme de Bourlon où elle devait passer les quelques mois qui la séparaient de son mariage. Si étrange qu’elle parût à toutes ces Parisiennes riches et coquettes, Jeanne Châtelus s’imposa par la conviction de sa foi, ses allures sibyllines, la légende de ses fiançailles et de son prochain départ pour les missions. Elle menait d’ailleurs une vie à part, ayant en dehors des classes le privilège d’une petite chambre tout au bout du dortoir, où deux ou trois de ses amies, des grandes, veillaient le soir avec elle.

Là, comme sous les platanes de la récréation, Jeanne répandait la bonne nouvelle, essayait la puissance magnétique de sa parole et de ses regards, son indomptable volonté de prosélytisme ; elle formait de véritables catéchumènes, une entre autres, Déborah Becker, grande Juive aux cheveux cuivrés, la nièce de la veuve Autheman. Sur son teint laiteux de rousse, cette jolie Déborah avait reçu quelques éclaboussures du mal héréditaire dans la famille des marchands d’or. Aux changements de saison, sa figure, son cou, ses bras s’éraflaient de dartres sanglantes comme si elle eût traversé un buisson d’épines ; et elle