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si je ne poussais pas ce grand soupir vers vous, ce que j’ai là sur le cœur m’empêcherait de respirer et de vivre. Je n’ai même pas eu le courage d’attendre jusqu’à dimanche. C’était trop loin ; et puis, devant Cécile, je n’aurais pas osé parler… Je vous avais dit, n’est-ce pas ? l’explication que nous avions eue ensemble, cet homme et moi. Depuis ce jour-là, je voyais ma pauvre mère si triste, ce qu’elle avait fait me semblait tellement au-dessus de ses forces, que je m’étais résolu à la changer de quartier pour distraire et dépayser son chagrin. Je comprenais bien qu’une bataille était engagée, et que si je voulais la gagner, si je voulais garder ma mère avec moi, je devais user de tous les moyens, de toutes les ruses possibles. Notre rue, notre maison lui déplaisaient. Il fallait quelque chose de plus riant, de plus aéré, qui l’empêchât de trop regretter son quai des Augustins. Je louai donc à Charonne, rue des Lilas, au fond d’un jardin de maraîcher, trois petites pièces nouvellement réparées, tendues de papier neuf, que j’ornai d’un mobilier un peu plus soigné, un peu plus complet que le mien. Toute ma petite réserve, pardonnez-moi ces détails, mais je me suis juré de tout vous dire, les économies que je faisais depuis six mois pour mes inscriptions, mes examens, passèrent à ces soins que je savais d’avance approuvés par vous. Bélisaire et sa femme m’aidèrent à l’installation, ainsi que la bonne Zénaïde établie dans la même rue avec son père, et sur qui je comptais pour