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Jack rougit pour elle de son mensonge, mais ne lui en fit aucune observation. Toute la soirée il sentit rôder autour de sa table cette activité inquiète de la femme qui se distrait d’une pensée par l’agitation. Elle avait retrouvé son entrain courageux des premiers jours, rangeait, nettoyait la chambre, et tout en marchant, en s’affairant, bourdonnait avec des intonations de reproche, des mouvements de tête. Puis elle venait s’appuyer sur la chaise de Jack, l’embrassait, le câlinait :

— Comme tu es courageux, mon chéri ! Comme tu travailles bien !

Il travaillait fort mal, au contraire, préoccupé de ce qui se passait dans l’âme de sa mère.

— Est-ce bien moi qu’elle embrasse ? se disait-il ; et ses soupçons se trouvaient confirmés par un petit détail qui prouvait à quel point le passé triomphant avait repris ce pauvre cœur de femme. Elle ne cessait de fredonner la romance favorite de d’Argenton, une certaine « valse des feuilles », que le poëte aimait tapoter au piano, entre chien et loup, sans lumière :

Valsez, valsez, comme des folles,
Pauvres feuilles, valsez, valsez !

Sentimental et traînard, ce refrain qu’elle aveulissait encore en ralentissant les notes finales, l’obsédait, la poursuivait ; elle le laissait, le reprenait par fragments, comme s’il eût marqué les intervalles de sa pensée.