Page:Daudet - Jack, II.djvu/283

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Germain, — « tailleurs de la noblesse », comme elle disait, — qui l’invitaient à dîner tous les quinze jours. Pour passer son dimanche, madame de Barancy n’avait plus alors que la ressource du vieux fonds littéraire de madame Lévêque, une cargaison d’exemplaires dépareillés, fanés, salis par tous les doigts du faubourg, et gardant entre leurs feuillets, qui n’avaient plus que le souffle, des miettes de pain ou des taches de graisse qui prouvaient qu’on les avait lus en mangeant. Ils racontaient, ces livres, des paresses de filles, des flânes d’ouvriers ou même des prétentions littéraires, car beaucoup avaient dans leurs marges des notes au crayon, des remarques saugrenues.

Elle restait là, affaissée et veule devant la croisée, à lire ses romans jusqu’à ce que la tête lui tournât. Elle lisait pour éviter de penser et de regretter. Déclassée dans cette grande maison ouvrière, les croisées laborieuses qu’elle avait en face d’elle ne lui causaient pas, comme à son fils, une excitation au courage, à un labeur quelconque, mais une lassitude plus grande, un dégoût plus amer. La femme toujours triste qui cousait sans relâche près de sa fenêtre, la pauvre vieille qui disait : « les personnes qui sont à la campagne d’un temps pareil… » aggravaient son ennui à elle de leur plainte muette ou formulée. La pureté du ciel, la chaleur de l’été sur toutes ces misères, les lui faisaient paraître plus noires, de même que l’oisiveté du dimanche où passaient seulement les cloches de vêpres