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peaux, chapeaux, » avec une tristesse à donner envie de pleurer. De là vient sans doute la mélancolie que prennent à certains jours ces cris de Paris traduisant en des mots indifférents toutes les inquiétudes, toutes les détresses d’une existence. Le ton seul est significatif dans ces chansons toujours pareilles. Mais cherchez combien il y a de façons de crier : « Chand d’habits, » et si l’appel courageux du matin ressemble à celui du soir, à la mélopée éreintée, aphone, découragée, que le forain jette machinalement en rentrant à son domicile, Jack qui avait été la cause involontaire du chagrin de son ami, fut presque aussi enchanté que lui de la bonne nouvelle qu’il venait d’apprendre :

— Ah ça, je voudrais bien le voir, moi, ce camarade.

— Il est là, dit Bélisaire en lui montrant à quelques pas derrière lui un grand diable en tenue de travail, en manches de chemise, un marteau sur l’épaule, un tablier de cuir roulé sous le bras. La figure remarquable par l’insignifiance de ses traits, endormie, enflammée d’un reflet de bouteille, se cachait à moitié sous une barbe abondante, la barbe embroussaillée, malpropre, décolorée, de cet ancien commensal du Gymnase Moronval que les Ratés appelaient « l’homme qui a lu Proudhon. » Si les ressemblances physiques entraînent des rapports moraux, le nouveau camarade de Bélisaire, appelé Ribarot, ne devait pas être un méchant homme, mais un paresseux, solennel, prétentieux, ignorant et ivrogne. Jack se garda bien de