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— Ma foi, mon cher Rivals, me dit-il, je ne connais pas le comte Nadine. Il m’a fait l’effet d’un excellent garçon. Je sais qu’il porte un grand nom, qu’il est bien élevé. C’est plus qu’il n’en faut pour tenir un affût ensemble. Maintenant, il est clair que si j’avais à lui donner ma fille en mariage, j’irais un peu plus au fond des choses. À votre place, je m’adresserais à l’ambassade russe. Ils doivent avoir là tous les renseignements nécessaires.

Tu crois peut-être, mon brave Jack, qu’après cela je n’eus rien de plus pressé que d’aller à l’ambassade. Eh bien ! non. J’étais trop insouciant, trop lambin surtout. Dans la vie, je n’ai jamais fait ce que je voulais, faute de temps. Je ne sais si j’en perds, si j’en gaspille ; mais mon existence, à quelque âge que je meure, se sera trouvée trop courte de moitié pour tout ce que j’avais à faire. Tourmenté par ma femme au sujet de ces malheureuses informations, je finis par mentir : « Oui, oui, j’y suis allé… Des renseignements excellents… De l’or en barre, ces comtes Nadine. » Depuis je me suis rappelé l’air singulier de mon drôle chaque fois qu’il supposait que je partais pour Paris ou que j’en revenais ; mais alors je ne voyais rien, j’étais tout entier à ces beaux projets d’avenir dont les enfants emplissaient leurs heureuses journées. Ils devaient habiter avec nous, trois mois de l’année, et passer le reste du temps à Saint-Pétersbourg où l’on offrait à Nadine un emploi supérieur dans l’administration. Ma pauvre