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lescent savoure mieux ses longues journées de complète inaction.

Il est si heureux qu’il ne parle même pas, qu’il se contente de tenir ses yeux à demi ouverts sur cette chère présence, d’écouter l’aiguille de Cécile ou sa plume sur le papier rayé de ses livres de compte.

— Oh ! ce Grand-père… Je suis sûre qu’il m’escamote la moitié de ses visites… Hier encore il s’est coupé deux fois… Il m’a soutenu qu’il n’était pas allé chez les Goudeloup, et puis la minute d’après il a dit que la femme était un peu mieux. Vous avez dû remarquer cela, n’est-ce pas, Jack ?

— Mademoiselle ?… dit-il en sursaut.

Il n’a pas entendu, il la regardait, toujours simple, égale à elle-même, gracieuse sans ces enfantillages voulus, ces sautillements des petites filles qui savent que l’étourderie est une grâce et qui la gâtent par l’affectation. En elle, tout est sérieux, tout est profond. Sa voix résonne dans des espaces de pensées ; son regard absorbe et garde la lumière. On sent que tout ce qui entre dans cette âme, que tout ce qui en sort va loin et vient de loin. Cela est si vrai que les mots, cette monnaie courante, usée, effacée, prennent, tout à coup, prononcés par elle, une fraîcheur d’empreinte étonnante, comme il leur arrive quelquefois en musique, lorsqu’ils sont enveloppés dans un accord magique de Haendel ou de Palestrina. Si Cécile disait « mon ami Jack, » il semblait à Jack que personne auparavant ne