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— Allons bon ! dit d’Argenton stupéfié… Comme ça tombe ! Un soir où j’étais si en train… Qu’est-ce qui te prend, voyons ? C’est cette nouvelle du Cydnus ? Mais, quoi ? C’est un bruit en l’air. Tu sais bien comment sont les journaux. Tout leur est bon pour remplir leurs colonnes… Cela se voit tous les jours qu’on soit sans nouvelles d’un navire. D’ailleurs, Hirsch a dû passer à la compagnie aujourd’hui. Il va venir tout à l’heure. Tu sauras ce qu’il en est. Il sera toujours temps de se faire du chagrin.

Il lui parle d’une voix dédaigneuse et séchement condescendante, comme on parle aux faibles, aux enfants, aux fous, aux malades ; n’est-ce pas un peu tout cela ? Puis quand il l’a calmée :

— Où en étions-nous ? Ça m’a fait perdre le fil. Relis-moi tout ce que j’ai dicté… Tout !

Charlotte refoule ses larmes et reprend pour la dixième fois :

— « Dans un vallon perdu des Pyrénées, de ces Pyrénées si fécondes en légendes… »

— Ensuite ?

Elle a beau tourner et retourner la page, secouer le cahier neuf :

— C’est tout… dit-elle à la fin.

D’Argenton est très-surpris ; il lui semble qu’il y en avait bien plus long. C’est toujours ce qui lui arrive quand il dicte. La terrible avance que la pensée a sur l’expression l’égare. Tout ce qu’il rêve, tout ce qui