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Pour faciliter ses digestions, il avait pris l’habitude de dicter au lieu d’écrire, et comme Charlotte avait une belle écriture anglaise, c’est elle qui lui servait de secrétaire. Tous les soirs, quand ils dînaient seuls, il dictait pendant une heure en se promenant de long en large. Dans la vieille maison endormie, on entendait résonner ses pas, sa voix solennelle, et une autre voix douce, aimable, admirable, qui semblait donner les répons à ce pontife officiant.

— Voilà notre auteur qui compose, disait le concierge avec respect.

Le soir où nous retrouvons le ménage d’Argenton, il est ainsi installé dans un charmant petit salon parfumé de thé vert et de cigarettes espagnoles. Charlotte est en train de préparer sa table pour écrire, d’aligner un encrier perfectionné, un porte-plume en ivoire, de la poudre d’or, de beaux cahiers de papier blanc à grandes marges pour les corrections. Précaution bien inutile, le poëte ne faisant jamais de corrections ; ça vient comme ça vient, d’un bloc, et l’on n’y retouche plus. Mais le cahier est plus joli avec des marges, et, quand il s’agit de son poëte, Charlotte met toute sa coquetterie en jeu.

Justement ce soir-là d’Argenton est bien en veine, il se sent d’haleine à dicter toute la nuit et veut en profiter pour écrire une nouvelle sentimentale destinée à amorcer l’abonné à l’époque du renouvellement. Il tortille sa moustache éclaircie de quelques poils blancs,