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Sitôt que « moucié Bonfils » venait le chercher, Mâdou l’entraînait vers le port, dont les vergues entrelacées, les carènes rangées au quai l’attiraient du bout des rues. Il n’était heureux que là, dans l’odeur du goudron, du varech, parmi les marchandises qu’on décharge, et dont beaucoup arrivaient de son pays. Il avait des extases devant ces ruissellements de grains dorés, ces sacs, ces ballots qui portaient quelquefois une marque reconnue.

Les steamers en train de chauffer et, malgré leur immobilité, indiquant déjà le mouvement du voyage par les élans essoufflés de leur vapeur, quelque grand navire enflant ses voiles, tendant ses cordages, le tentaient, lui parlaient de départ, de délivrance.

Il restait debout pendant des heures à regarder fuir, vers le soleil couchant, une voile gonflée comme une aile de mouette, une fumée légère comme une bouffée de cigare, qui semblait suivre la flamme du bel astre, disparaître avec lui sous l’horizon.

Mâdou songeait à ses navires tout le temps des classes. C’était bien l’image de son retour au pays de lumière ; un oiseau l’avait amené, pensait-il, un autre le remporterait.

Et, poursuivi par cette idée fixe, laissant là le BA, BE, BI, BO, BU, où ses yeux ne voyaient que du bleu, le bleu de la mer voyageuse et du grand ciel ouvert, un beau jour il s’échappa du collége, se glissa dans un des bateaux de « moucié Bonfils » à fond de