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chaude. Tout cela n’était rien. Il s’agissait seulement de signer un bail très long, de mettre à la porte une grande enseigne dorée, puis d’attendre.

Depuis vingt ans, combien de Parisiens ont ruiné leurs facultés, leur fortune, leur vie, dans cette fièvre d’attente !… Elle s’empara furieusement de Moronval. L’éducation des élèves, leur bien-être, furent désormais le moindre de ses soucis.

Aux réparations urgentes, il répondait : « Cela changera bientôt… » ou bien : « Nous n’en avons plus que pour deux mois… »

Et c’étaient des projets fantastiques fondés sur la somme exorbitante de l’expropriation. Il devait continuer son affaire des « petits pays chauds » sur une plus vaste échelle, en faire une œuvre grandiose, civilisatrice et fructueuse.

En attendant, il délaissait son gymnase, s’épuisait en courses inutiles, et demandait chaque fois à son retour :

« Eh bien ?… est-on venu pour l’expopiation ?… »

Rien. Jamais rien.

Qu’est-ce qu’ils attendaient donc ?

Bientôt il comprit qu’on l’avait dupé ; et dans cette nature emportée et faible de créole indolent, le découragement dégénéra vite en lâcheté. Les élèves ne furent même plus surveillés. Pourvu qu’ils fussent couchés de bonne heure, de façon à user le moins possible de bois et d’éclairage, on ne leur en demandait pas plus.