Page:Daudet - Jack, I.djvu/388

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il avait été tellement choqué de voir son ami prêter la main à ces hideuses trahisons, que, depuis ce temps, il évitait de le rencontrer, ne s’arrêtait plus pour causer avec lui. L’autre avait beau grimacer son plus aimable sourire, parler de cette jolie dame de là-bas, et d’une certaine tranche de jambon, le charme magique n’opérait plus. « Bonjour, bonjour, disait Jack. Une autre fois… Aujourd’hui, je n’ai pas le temps. » Et il passait, laissant le camelot stupéfait, la bouche ouverte.

Bélisaire était loin de soupçonner le motif de cette froideur. Il s’en doutait si peu qu’un jour, chargé d’un message pressé pour Clarisse et ne l’ayant pas trouvée chez elle, il attendit la sortie des ateliers et remit la lettre à l’apprenti d’un air de grand mystère :

— C’est pour madame Roudic… Chut !… Rien que pour elle.

Sur l’enveloppe bleue cachetée d’un peu de cire, Jack avait reconnu l’écriture du Nantais. Sans doute il était là-bas à l’auberge, il l’attendait.

— Ma foi ! non, dit l’apprenti en repoussant la lettre, je ne me charge pas de cette commission ; et même, à votre place, j’aimerais mieux vendre mes chapeaux que de faire des trafics pareils.

Bélisaire le regardait, interdit.

— Voyons, reprit Jack, vous savez bien ce qu’il y a dans les lettres que vous portez. Vous le savez comme moi, comme tout le monde. Et croyez-vous que c’est