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sage, il fallut presque employer la force. Les surveillants couraient de tous côtés, distribuant des bourrades pour faire le chemin libre ; et bientôt il ne resta plus autour de la machine que trois cents compagnons, choisis dans toutes les halles, parmi les plus robustes, et qui, tous armés de barres d’anspect ou s’attelant à des chaînes vigoureuses, n’attendaient qu’un signal pour mettre le monstre en mouvement.

— Y êtes-vous, garçons ? oh ! hisse.

Alors un petit fifre alerte et vif se fit entendre, et la machine commença à s’ébranler sur les rails, le cuivre, le bronze, l’acier étincelant dans sa masse, et son engrenage de bielles, de balanciers, de pistons remués avec des chocs métalliques. Ainsi qu’un monument terminé que les ouvriers abandonnent, on l’avait ornée tout en haut d’un énorme bouquet de feuillage surmontant tout ce travail de l’homme comme une grâce, un sourire de la nature ; et tandis que dans le bas l’énorme masse de métal avançait péniblement, en haut le panache de verdure s’abaissait, se relevait à chaque pas et bruissait doucement dans l’air pur. Des deux côtés la foule lui faisait cortége, directeur, inspecteurs, apprentis, compagnons, tous marchant pêle-mêle les yeux fixés sur la machine ; et le fifre infatigable les guidait vers le fleuve, où fumait une chaloupe à vapeur, au ras du quai, prête à partir.

La voilà rangée sous la grue, l’énorme grue à vapeur de l’usine d’Indret, le plus puissant levier du