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mon Jack, ne te bute pas, surtout. Tu sais comme il est, lui. Bien bon, mais inexorable. Il a résolu que tu serais ouvrier, et il faudra que tu le deviennes. Tout ce que tu dirais ne servirait à rien. Là-dessus il a son idée fixe. Est-elle juste ? Moi, je ne sais plus. La tête finit par me tourner de tout ce que j’entends dire ici. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il ne faut pas que tu sois malade. Je t’en prie, mon Jack, soigne-toi bien. Couvre-toi bien le soir, quand tu sors. Il doit faire humide dans cette île. Prends garde au brouillard. Et puis, écris-moi chez les Archambauld, si tu as besoin de quelque chose… Te reste-t-il encore de ton chocolat pour croquer le matin en t’éveillant ?… Pour cela, pour les petites provisions, je mets de côté tous les mois une petite somme sur l’argent de ma toilette. Figure-toi que tu m’as rendue économe. Surtout travaille. Songe qu’un jour viendra, qui n’est pas loin peut-être, où ta mère n’aura que ton bras pour soutien.

« Si tu savais comme je suis triste quelquefois en pensant à l’avenir. Sans compter que l’existence n’est pas très gaie ici, surtout depuis cette dernière affaire. Je ne suis pas tous les jours heureuse, va. Seulement tu me connais, le chagrin ne me dure pas longtemps. Je pleure et je ris dans la même minute, sans pouvoir m’expliquer comment. D’ailleurs j’aurais bien tort de me plaindre. Il est nerveux comme tous les artistes ; mais on ne peut pas se figurer ce qu’il y a de