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leur ; Jack était de ces êtres-là. Tout en courant, il se demandait avec une vraie douleur : Pourquoi ? qu’est-ce que je leur ai fait ?

Comme il arrivait essoufflé à la porte encore ouverte, il entendit derrière lui un pas pénible, un souffle d’animal ; presque aussitôt une grosse main se posa sur son épaule. En se retournant, il aperçut une espèce de monstre roux qui lui souriait d’un sourire plissé à mille petites rides, et lui rapportait sa casquette qu’il avait ramassée. C’était la seconde fois, depuis son arrivée à Indret, que Jack rencontrait ce bon sourire, ce visage déjà connu. Où les avait-il vus d’abord ? Eh ! oui, parbleu, sur la route de Corbeil, ce camelot fuyant l’orage, avec une cargaison de chapeaux entre les épaules… Mais à cette minute ils n’avaient pas le temps de renouveler connaissance. Le surveillant criait en amenant le drapeau :

— Hé, l’Aztec… Dépêchons-nous.

Il ne put que saisir sa casquette et dire merci à Bélisaire, qui redescendit la rue en clopinant.

À l’étau ce jour-là Jack se sentit moins triste, moins seul. Il voyait tout le temps la belle route de Corbeil se dérouler au milieu de la forge, avec ses parcs, ses pelouses, la voiture du docteur revenant le soir tout le long du bois ; et la fraîcheur des prés rêvés, de la rivière entrevue, là, dans cet enfer, lui causait des sensations de fiévreux, des frissons froids suivis de chaleur ardente. Quand il sortit, il chercha Bélisaire