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Jack avait très peur de « manquer le drapeau ; » et, le plus souvent, il était devant la porte longtemps avant le premier coup de cloche. Un jour pourtant, deux ou trois mois après son entrée à l’usine, la méchanceté des autres apprentis faillit l’empêcher d’arriver à temps. Ce matin-là, le vent qui soufflait de la mer avec cette allure de joyeuse bourrasque qu’il prend au libre espace, juste au moment où Jack entrait à l’atelier s’abattit sur sa caquette et la lui emporta.

— Arrête ! arrête ! criait l’enfant, courant derrière elle tout le long de la rue en pente ; mais au lieu de l’arrêter, un apprenti qui passait avait déjà, d’un coup de pied, envoyé la casquette beaucoup plus loin. Un autre en fit autant, puis un autre. Cela devint un jeu très amusant pour tout le monde excepté pour Jack qui courait de toute sa force au milieu des huées, des « kiss… kiss…, » des rires, en retenant une grande envie de pleurer, car il sentait bien ce qu’il y avait de haine contre lui au fond de cette grosse gaîté. Pendant ce temps la cloche de l’usine sonnait ses derniers coups. L’enfant se vit obligé de renoncer à sa poursuite et de revenir bien vite sur ses pas. Il était désolé. Ça coûte cher une casquette. Il faudrait écrire à sa mère, demander de l’argent. Et si d’Argenton voyait la lettre ! Mais ce qui le désespérait surtout, c’était cette haine qui l’entourait, se trahissait dans les plus petites choses. Il y a des êtres qui ont besoin de tendresse pour vivre, comme certaines plantes de cha-