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feu, qui dispense le travail et la force à toutes les parties de l’atelier. C’est son bruit sourd, sa trépidation régulière qui a tant ému l’enfant à son arrivée, et maintenant il lui semble qu’il ne vit plus que par elle, qu’elle lui a accaparé son souffle et a fait de lui une chose aussi docile que toutes les machines qu’elle remue.

Terrible vie, surtout après les deux années de liberté et de plein air qu’il venait de passer aux Aulnettes.

Le matin, à cinq heures, le père Roudic l’appelait : « Ohé, petit gas ! » La voix résonnait dans toute la maison construite en planches. On cassait une croûte à la hâte. On buvait sur le bord de la table un coup de vin servi par la belle Clarisse, encore dans ses coiffes de nuit. Puis en route pour l’usine, où sonnait une cloche mélancolique, infatigable, prolongeant ses « dan… dan… dan… » comme si elle eût eu à réveiller non-seulement l’île d’Indret, mais toutes les rives environnantes, l’eau, le ciel, et le port de Paimbœuf, et celui de Saint-Nazaire. C’était alors un piétinement confus, une poussée dans les rues, dans les cours, aux portes des ateliers. Ensuite, les dix minutes réglementaires écoulées, le drapeau amené annonçait que l’usine se fermait aux retardataires. À la première absence, retenue sur la paye ; à la seconde, mise à pied ; à la troisième, expulsion définitive.

Le règlement de d’Argenton, si étouffant, si féroce, n’était rien auprès de celui-là.