Page:Daudet - Jack, I.djvu/338

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Il a raison, sacrebleu ! dit Labassindre en tapant sur la table.

La discussion s’engagea. Roudic revint plusieurs fois à la charge, mais le Nantais tenait bon. Zénaïde, sans parler, ne quittait pas des yeux sa belle-mère, qui sortait de table à tout instant, quoiqu’il n’y eût plus rien à servir.

— Et vous, maman, dit-elle à la fin, n’est-ce pas votre avis que Charlot devrait s’en aller là-bas ?

— Mais si, mais si, répondit madame Roudic vivement… Je pense qu’il fera bien d’accepter.

Le Nantais se leva, très agité, très sombre.

— C’est bon, dit-il. Puisque tout le monde ici sera content de me voir partir, je sais ce que j’ai à faire. Dans huit jours, je serai filé. Maintenant ne parlons plus de ça.

La nuit tombait, on apporta de la lumière. Les jardins voisins s’éclairaient aussi, et l’on entendait tout autour des rires, des bruits d’assiettes dans les feuilles, la trivialité en plein air des guinguettes de banlieue.

Labassindre, au milieu de l’embarras général, avait pris la parole, ramassant dans sa mémoire tous les résidus des anciennes théories du gymnase sur les droits de l’ouvrier, l’avenir du peuple, la tyrannie du capital. Il faisait beaucoup d’effet, et des camarades, venus pour passer la soirée avec le chanteur, s’extasiaient devant cette éloquence facile, que le patois oublié ne gênait plus, et claire de toute sa banalité.