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comme une brume de lumière où la vie du fleuve, active, silencieuse, apparaissait avec des rapidités de mirage. De hautes voiles entrevues, qui semblaient blondes dans cette heure éblouissante, passaient au loin comme envolées. C’étaient de grandes barques venant de Noirmoutiers, chargées jusqu’au bord d’un sel blanc étincelant de mille paillettes, et montées par de pittoresques équipages : des hommes avec le grand tricorne des saulniers bretons, des femmes dont les coiffes étoffées, papillonnantes, avaient la blancheur et le scintillement du sel. Puis des caboteurs, pareils à des haquets flottants, leur pont tout encombré de sacs de blé, de futailles ; des remorqueurs traînant d’interminables files de barques, ou bien quelque trois-mâts nantais arrivant du bout du monde, rentrant au pays après deux ans d’absence et remontant le fleuve d’un mouvement lent, presque solennel, comme s’il portait avec lui le recueillement silencieux de la patrie retrouvée et la poésie mystérieuse des choses venues de loin. Malgré la chaleur de juillet, un grand souffle courait dans tout ce beau décor, car le vent arrivait de la mer avec la fraîcheur et la gaieté du large, et faisait deviner un peu plus loin, au delà de ces flots serrés que le calme, la tranquillité des eaux douces abandonnait déjà, le vert de l’Océan sans limites, et des vagues, des embruns, des tempêtes.

— Et Indret ? où est-ce ?… demanda Jack.

— Là. Cette île en face de nous.