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je te dirai le nom de ton père, et de quelle fatalité inouïe ta mère et toi vous avez été victimes. Mais aujourd’hui, ce qu’il faut bien que tu saches, que tu comprennes, c’est que nous n’avons rien à nous, mon pauvre enfant, et que nous dépendons absolument de… de Lui. Comment veux-tu que je m’oppose à ton départ, surtout quand je sais qu’il ne te fait partir que dans ton intérêt ? Je ne peux rien lui demander. Il a déjà tant fait pour nous. Et puis lui-même n’est pas très riche, et cette terrible carrière artistique lui devient si ruineuse ! Il ne pourrait pas se charger des frais de ton éducation. Que veux-tu que je devienne entre vous deux ? Il faut pourtant prendre un parti. Ah ! si je pouvais y aller à ta place, moi, à cet Indret. Songe que c’était un métier qu’on te mettait dans les mains. Est-ce que tu ne serais pas fier de n’avoir plus besoin de personne pour vivre, de gagner ton pain, d’être ton maître ?

À l’éclair qui passa dans les yeux de l’enfant, elle comprit qu’elle avait frappé juste ; et tout bas, de cette voix caressante et frôleuse qu’ont les mères, elle murmurait :

— Fais cela pour moi, Jack, veux-tu ? Mets-toi vite en état de gagner ta vie. Qui sait si moi-même, quelque jour, je ne serai pas obligée d’avoir recours à toi comme à mon seul soutien, à mon unique ami ?

Pensait-elle ce qu’elle disait ? Était-ce un pressentiment, une de ces déchirures subites de l’avenir qui