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ment à promener les arrivants dans tous les recoins de la maison, à leur en faire admirer les embellissements. Ensuite ces troupes de vieux gamins à barbes grises se répandaient sur les routes, au bord de l’eau, dans la forêt, avec des hennissements de gaieté, des gambades extravagantes de vieux chevaux qu’on met au vert.

Dans le frais paysage, ces hauts chapeaux pelés, ces habits noirs râpés, ces faces creusées par toutes les souffrances envieuses des misères parisiennes, paraissaient plus sordides, plus fanés, plus flétris. Puis la table réunissait tout ce monde, la table mise à la journée et n’ayant pas le temps de secouer ses miettes d’un repas à l’autre. On s’attardait pendant des après-midi entières à boire, à discuter, à fumer.

C’était la brasserie au milieu des bois.

D’Argenton triomphait. Il pouvait ressasser son éternel poëme, répéter dix fois les mêmes projets, dire à tout propos : « Moi je… moi je » avec l’autorité du Monsieur qui a à lui le bon vin, la maison et tout. Charlotte aussi se trouvait très heureuse. Pour sa nature changeante et ses instincts bohémiens, c’était un renouvellement de jeunesse que tout ce train d’allées et venues ; on l’entourait, on l’admirait, et tout en restant fidèle à son amour, elle savait se montrer juste assez coquette pour émoustiller le poëte et lui faire apprécier son bonheur.