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avait-il de vrai dans toutes ces histoires de noblesse dont elle était obsédée ? Personne n’aurait pu le dire. Ces existences compliquées ont des fortunes si diverses, tant de dessous, un passé si long et si accidenté, qu’on n’en connaît jamais que le dernier aspect. On dirait ces phares tournants qui ont de longues alternatives d’ombre entre les éclats intermittents de leur feu.

Ce qu’il y a de certain, c’est qu’elle n’était pas parisienne, qu’elle arrivait d’un chef-lieu quelconque dont elle gardait encore l’accent, ne savait rien de Paris et manquait absolument de genre, au dire de mademoiselle Constant, sa femme de chambre.

« Cocotte de province… », disait celle-ci dédaigneusement.

Comme renseignement, c’était un peu vague.

Il est vrai qu’au Gymnase, un soir, deux négociants lyonnais avaient cru la reconnaître pour une certaine Mélanie Favrot, qui tenait jadis un établissement de « gants et parfumerie » place des Terreaux ; mais ces Messieurs s’étaient trompés et s’excusèrent beaucoup. Un autre jour, un officier du troisième hussards s’avisa de la prendre pour une nommée Nana qu’il avait connue huit ans auparavant à Orléansville. Celui-là aussi fit les mêmes excuses, ayant fait la même erreur. Il y a vraiment des ressemblances bien impertinentes.

Pourtant, madame de Barancy avait beaucoup voyagé et ne s’en cachait pas ; mais bien sorcier celui qui eût démêlé quelque chose de clair, de positif dans