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lourde, de toute cette face inachevée, monstrueuse, qui semblait un échantillon retrouvé des âges préhistoriques. Le malheureux avait sans doute conscience de sa terrible laideur ; car, en voyant en face de lui cet enfant qui le regardait avec un peu d’inquiétude, il lui sourit d’un air aimable. Ce sourire le rendit encore plus laid, mit au bord de sa bouche, de ses yeux, un million de petites rides, tout ce plissement des visages de pauvres que le sourire chiffonne au lieu de les détendre. Mais il avait l’air si bon en riant ainsi, que Jack se sentit rassuré tout de suite et continua à arracher son herbe.

Soudain un roulement de tonnerre très rapproché ébranla le ciel et la vallée entière. Sur la route un frisson courut, soulevant la poussière, frémissant dans les arbres.

L’homme se releva, regarda les nuages d’un air inquiet, puis, s’adressant à Jack, que le coup de tonnerre avait redressé lui aussi, il lui demanda si le village était encore bien loin.

— À un quart d’heure à peu près, répondit l’enfant.

— Eh ! là, bon Dieu, fit le pauvre camelot, jamais je n’arriverai avant la pluie. Je vais mouiller tous mes chapeaux. J’en ai trop pris ; ma bâche n’est pas assez grande pour les couvrir.

Jack eut un bon mouvement en voyant cette consternation ; d’ailleurs son fameux voyage l’avait rendu pitoyable à tous les errants du grand chemin.