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sante servitude, la parole de Moronval paraissait aussi navrante que comique.

Pourtant, parmi toutes les fausses larmes qui regrettaient Mâdou, il y avait au moins une émotion véritable, une douleur sincère, celle de Jack. La mort de son camarade l’avait beaucoup impressionné, et cette petite frimousse de moricaud, si morne et si profondément désolée, qu’il avait entrevue dans l’ombre de la serre, le poursuivait sans relâche depuis deux jours. À cette obsession se mêlait en ce moment l’impression de la lugubre cérémonie et aussi le sentiment de son propre malheur. Maintenant que le nègre n’était plus là, il se sentait livré tout seul aux colères du maître, les autres « petits pays chauds, » si abandonnés qu’ils fussent, ayant tous des correspondants qui les visitaient quelquefois et auraient protesté contre des brutalités par trop visibles. Jack était délaissé, il le voyait bien. Sa mère ne lui écrivait plus ; personne au gymnase ne savait où elle était. Ah ! s’il avait pu l’apprendre, comme il serait allé bien vite se réfugier auprès d’elle, lui raconter ses misères.

Il pensait à cela, le petit Jack, en descendant la longue avenue boueuse du cimetière. Labassindre et le docteur Hirsch marchaient devant lui, causant à haute voix, et voici ce qu’il entendit :

— Je suis sûr qu’elle est à Paris, disait Labassindre.

Machinalement Jack prêta l’oreille.