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si strictement nourris ! Jack, moins affamé, pensa à la conversation de la veille qui, entendue au moment du sommeil, lui était restée comme un rêve.

M. Moronval s’éloigna pour revenir quelques instants après :

— Eh bien, et Mâdou ?

— Il n’est pas rentré… Je n’y comprends rien, dit la petite femme, un peu inquiète, elle aussi.

Dix heures, onze heures, pas de Mâdou. La leçon était finie depuis longtemps. C’était l’heure où d’ordinaire montaient de la cuisine en sous-sol, si étroite pourtant et si pauvre, des odeurs chaudes qui surexcitaient l’appétit féroce des collégiens. Ce matin-là rien, ni légume, ni viande, et toujours pas de Mâdou.

— Il lui sera peut-être arrivé quelque chose… disait madame Moronval, plus indulgente que son maussade époux, qui de temps en temps s’en allait guetter, la matraque à la main, à la porte du passage, l’arrivée du négrillon.

Enfin les douze coups de midi sonnèrent à toutes les horloges, à toutes les pendules, à tous les clochers du voisinage, apportant cette heure du déjeuner qui partage le travail de la journée en deux portions à peu près égales. Cette joyeuse sonnerie vibra d’une façon sinistre dans les estomacs creux de tous les habitants du gymnase. Et pendant que le silence se faisait parmi les fabriques d’alentour, et que même des masures du