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lume de poésies, les Cordes d’airain, des satires impitoyables. Il avait ainsi dans l’esprit une foule de titres vacants, des étiquettes d’idées, des dos de volumes sans rien dedans.

Alors des éditeurs viendraient, ils seraient bien forcés de venir. Il serait riche, célèbre, peut-être de l’Académie, quoique cette institution soit bien tombée, bien vermoulue.

« Mais non, mais non, ça ne fait rien, disait Ida… Il faut en être. » Elle se voyait déjà dans un coin de l’Institut, le jour de la réception, cachée et palpitante, vêtue d’une petite robe modeste, comme il sied à la femme d’un homme célèbre.

En attendant, ils continuaient à manger les poires de « bon ami, » qui était bien le plus commode et le moins clairvoyant des bons amis.

D’Argenton les trouvait excellentes, ces satanées poires, mais il les mangeait avec une mauvaise humeur terrible, des rages, des grincements, et se vengeait sur la pauvre Ida, par quelques petites phrases bien acérées et blessantes, de ce que sa conduite à lui avait d’indélicat.

Des semaines, des mois, se passèrent ainsi sans apporter d’autres changements dans leur vie à tous qu’un refroidissement très sensible entre Moronval et son professeur de littérature. Le mulâtre qui attendait toujours que la comtesse prît une décision au sujet de la Revue, soupçonnait d’Argenton d’être hostile à son