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mouvement invincible et répulsif, semblable à celui qu’il avait eu pendant le dîner en pelant son beau fruit.

Ce n’était pourtant pas un cadeau de « bon ami, » cet enfant-là.

— Je ne peux pas… je ne peux pas… murmura-t-il, et il vint tomber sur la causeuse, en s’essuyant le front.

Jack, stupéfait, regardait sa mère, de l’air de dire : « Qu’est-ce que je lui ai fait ? »

— Va, mon Jack… Emmenez-le, Constant.

Et pendant que madame de Barancy s’approchait de son poëte, pour essayer de l’apaiser, l’enfant s’en retournait le cœur gros vers le gymnase Moronval, et dans l’allée noire encore attristée des regrets de la rentrée, dans le dortoir glacial, en pensant au professeur si largement installé là-bas sur le divan du salon parmi la lumière et les fleurs, il se disait avec envie : « Il est bien heureux, lui !… Jusqu’à quelle heure va-t-il rester-là ?… »

Dans le cri de d’Argenton : « Je ne peux pas… » et sa répugnance à embrasser le petit Jack, il y avait certes l’emphase et la pose de cette nature déclamatoire, mais tout au fond, aussi un sentiment réel et sincère.

Il était jaloux de l’enfant, comme l’enfant était jaloux de lui. À ses yeux, c’était là tout le passé d’Ida, la preuve vivante et bien vivante que d’autres l’avaient aimée avant lui. Son orgueil en souffrait.