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Il parlait des persécutions acharnées dont il était victime, de ses ennemis littéraires, des terribles épigrammes qu’il leur avait décochées :

« Alors je lui ai dit ce mot cruel ! »

Cette fois, elle ne l’interrompit plus. Elle écoutait, penchée vers lui, la tête sur son coude, souriante, comme en extase. Et sa pensée était si bien accaparée, que, lorsqu’il se taisait, elle écoutait encore, et qu’on n’entendait plus dans le salon que le tic-tac de la pendule et le frémissement des pages que l’enfant tournait avec désœuvrement, endormi à moitié sur l’album qu’il feuilletait.

Tout à coup elle se leva, frissonnante :

— Allons, Jack, mon ami, appelle Constant pour qu’elle te conduise. Il est l’heure…

— Oh ! maman…

Il n’osa pas dire qu’on le gardait plus tard ordinairement ; il craignait d’affliger sa mère, et surtout de rencontrer dans ces jolis yeux clairs, si tendres d’habitude, l’expression grondeuse qui tout à l’heure l’avait si fort consterné.

Elle le récompensa de sa docilité en l’embrassant avec une singulière expansion.

— Bonsoir, enfant… dit d’Argenton, redoublant de solennité ; et il attira le petit comme pour l’embrasser. Celui-ci tendait son joli front de blondin :

— Bonsoir, monsieur.

Mais le poëte le repoussa, comme emporté par un