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l’amertume, de l’amertume à la fureur, et se terminait par ces vers terribles :

Seigneur, délivrez-moi de cette horrible femme
Qui boit tout le sang de mon cœur.

Comme si cette poésie singulière avait remué en lui de pénibles souvenirs, d’Argenton affecta de ne plus dire un mot de toute la soirée. La pauvre Ida, elle aussi, était songeuse. Elle pensait à ces grandes dames qui avaient tant fait de mal à son poëte ; et tout le temps elle le voyait là-haut, bien haut, dans quelque salon aristocratique du faubourg Saint-Germain, où des femmes vampires buvaient tout le sang de son cœur, sans en laisser une goutte pour elle…

— Tu sais, mon petit, disait Moronval en s’en allant bras dessus bras dessous avec d’Argenton sur les boulevards déserts, pendant que la petite madame Moronval les suivait à grand’peine, tu sais, si j’ai ma Revue, je te prends pour rédacteur en chef.

Il jetait ainsi la moitié de la cargaison à la mer pour tâcher de sauver le navire, car il voyait bien que si d’Argenton ne s’en mêlait pas, on ne pourrait tirer de la comtesse que des paroles en l’air, des bouts de promesses, rien de sérieux.

Le poëte ne répondit pas. Il s’occupait bien de la Revue !

Cette femme le troublait. On n’exerce pas la profes-