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n’être pas montée… Elle est chez elle… j’en suis sûre… je l’entends.

En effet, depuis midi, Sidonie guette les moindres bruits de l’étage au-dessous, les cris de l’enfant, une porte qu’on ferme. Risler voudrait redescendre, fuir la conversation du déjeuner qui recommence ; mais sa femme ne l’entend pas ainsi. C’est bien le moins qu’il lui tienne compagnie, lui, puisque tout le monde l’abandonne, et il reste là, inepte, cloué sur place, comme ces gens qui n’osent pas bouger pendant l’orage de peur d’attirer la foudre Sidonie s’agite, va, vient dans le salon, change une chaise, la remet, se regarde en passant à la glace, sonne sa bonne pour lui dire d’aller demander au père Achille si personne n’est venu pour elle, il est si méchant, ce père Achille. Peut-être quand on vient, répond-il qu’elle est sortie.

Mais, non ! le concierge n’a encore vu personne.

Silence et consternation, Sidonie est debout à la fenêtre de gauche : Risler à celle de droite.

De là ils voient le petit jardin, où la nuit commence à descendre, et la fumée noire que la haute cheminée dégage sous un ciel bas. La vitre de Sigismond s’allume la première au rez-de-chaussée ; le caissier prépare sa lampe lui-même avec un soin méticuleux et sa grande ombre se promène devant la flamme, se courbe en deux près du grillage. La colère de Sidonie se distrait un moment à ces détails connus.

Tout à coup un petit coupé entre dans le jardin et vient s’arrêter devant la porte. Enfin voilà quelqu’un. Dans ce joli tourbillon de soie, de fleurs, de jais, de