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D’autres fois c’était le couvent qu’il lui fallait. Autour d’elle on s’affligeait, on cherchait la cause de ce singulier état, plus inquiétant encore que la maladie, quand tout à coup elle avoua à sa mère le secret de ses tristesses. Elle aimait Risler aîné… Jamais elle n’avait osé le dire, mais c’est lui qu’elle avait toujours aimé, et non pas Frantz. Cette nouvelle surprit tout le monde, Risler plus que personne, mais la petite Chèbe était si jolie, elle le regardait avec des yeux si doux que le brave garçon en fut tout de suite amoureux comme une bête. Peut-être aussi, sans qu’il s’en rendît bien compte, cet amour était au fond de son cœur depuis longtemps…

Et voilà comme il se fait que le soir de son mariage, la jeune madame Risler, toute blanche dans sa toilette de noce, regardait avec un sourire de triomphe la fenêtre du palier où dix ans de sa vie tenaient étroitement encadrés. Ce sourire orgueilleux, où se peignait aussi une pitié profonde et un peu de mépris comme une nouvelle enrichie peut en avoir pour la médiocrité de ses débuts, s’adressait évidemment à l’enfant pauvre et malingre qu’elle croyait voir là-haut, en face d’elle, dans la profondeur du passé et de la nuit, et semblait lui dire en montrant la fabrique :

« Qu’est-ce que tu dis de ça, petite Chèbe ?…, Tu vois, j’y suis maintenant… »