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garçon se croyait dans son droit d’amoureux accepté et impatient, et la petite Chèbe était obligée de sortir de ses rêves pour répondre à ce créancier, rejeter toujours plus loin l’échéance.

Il vint un jour pourtant où l’indécision ne fut plus possible. Elle avait promis d’épouser Frantz quand il aurait une position ; et voilà qu’on lui offrait une place d’ingénieur dans le Midi, aux hauts fourneaux de la Grand’Combe. C’était suffisant pour un ménage modeste. Nul moyen de reculer. Il fallait s’exécuter ou trouver un prétexte. Mais lequel ?

Dans ce danger pressant, elle songea à Désirée. Quoique la petite boiteuse ne lui eût jamais fait de confidence, elle savait son grand amour pour Frantz. Depuis longtemps elle avait deviné cela avec ses yeux de fille coquette, miroirs clairs et changeants qui reflétaient toutes les pensées des autres sans rien laisser voir des siennes. Peut-être même cette idée qu’une autre femme aimait son fiancé, lui avait tout d’abord rendu l’amour de Frantz plus supportable, et comme on met des statues aux tombeaux pour les rendre moins tristes, la jolie petite figure pâle de Désirée au seuil de cet avenir si noir le lui avait fait paraître moins sinistre.

À cette heure, cela lui fournissait un prétexte honorable et facile pour se dégager de sa promesse.

– Non ! vois-tu, maman, dit-elle un jour à madame Chèbe, jamais je ne consentirai à faire le malheur d’une