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Quant aux grands salons, dont les panneaux à sujet pâlissaient aux brouillards d’automne, quant aux pièces d’eau envahies par les nénufars, aux grottes, aux ponts de rocaille, il y tenait seulement à cause de l’admiration des visiteurs et parce que de tout cela se composait cette chose qui flattait tant sa vanité d’ancien marchand de bœufs : un château !

Déjà âgé, ne pouvant plus ni chasser, ni pêcher, il passait son temps à surveiller les petits détails infimes de cette immense propriété. Le grain que l’on donnait aux poules, le prix du dernier regain vendu, le nombre de bottes de pailles enfermées dans un magnifique grenier en rotonde, lui fournissaient de quoi gronder tout un jour, et certes, quand on regardait de loin ce beau Savigny, le château à mi-côte, la rivière coulant devant lui, en miroir, les hautes terrasses assombries de lierre, les assises de pierre soutenant le parc dans la pente majestueuse du terrain, on ne se serait jamais douté de la mesquinerie, de la pauvreté d’esprit du propriétaire.

Dans le désœuvrement de sa richesse M. Gardinois s’ennuyant à Paris vivait là toute l’année, et pendant la belle saison les Fromont lui tenaient compagnie. Madame Fromont était une femme douce, inintelligente, que le despotisme brutal de son père avait pliée de bonne heure à l’obéissance passive et perpétuelle. Elle gardait la même attitude devant son mari, dont la bonté, la constante indulgence, n’avaient pu venir à bout de cette nature humiliée, silencieuse, indifférente à tout, et comme irresponsable. Ayant toujours vécu à