Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/66

Cette page n’a pas encore été corrigée

jamais la petite boiteuse n’avait cousu de si bon cœur.

C’est qu’elle n’était pas pour rien la fille de Delobelle, cette petite Désirée. Elle tenait de son père cette fatalité à s’illusionner, à espérer jusqu’au bout et quand même.

Pendant que Frantz lui racontait ses peines d’amour, Désirée songeait qu’une fois Sidonie partie, il viendrait ainsi tous les jours, ne fût-ce que pour parler de l’absente ; qu’elle l’aurait là tout près d’elle, qu’ils veilleraient ensemble en attendant « le père », et que, peut-être un soir, en la regardant, il s’apercevrait de la différence qu’il y a entre la femme qui vous aime et celle qui se laisse aimer.

Alors l’idée que chaque point fait à la robe avançait ce départ si impatiemment attendu, donnait à son aiguille une activité extraordinaire, et le pauvre amoureux regardait avec terreur les volants et les ruches s’amonceler à vue d’œil autour d’elle, en moutonnant comme des petites vagues.

Quand la robe rose fut prête, mademoiselle Chèbe partit pour Savigny. Le château de M. Gardinois était bâti dans la vallée de l’Orge, au bord de cette petite rivière si capricieusement jolie, avec ses moulins, ses îles, ses écluses et ses grandes pelouses de parc qui viennent mourir tout le long de ses rives.

La maison, une vieille maison Louis XV, aux bâtiments peu élevés, très haute seulement de toiture avait un grand air de mélancolie, une apparence particulière d’ancienneté aristocratique : larges perrons, balcons de