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Se coucher sans souper, à l’heure de tout le monde, c’eût été abdiquer, renoncer à la lutte. Et il n’y renonçait pas, sacrebleu !…

La nuit dont nous parlons, le comédien n’était pas encore rentré, et les deux femmes l’attendaient, causant et travaillant, très animées malgré l’heure avancée. Toute la soirée, on n’avait fait que parler de Frantz, de son succès, de l’avenir qui s’ouvrait devant lui.

– À présent, disait la maman Delobelle, il ne lui manque plus que de trouver une bonne petite femme.

C’était aussi l’avis de Désirée. Il ne manquait plus que cela au bonheur de Frantz, une bonne petite femme active, courageuse, habituée au travail et qui s’oublierait toute pour lui. Et si Désirée en parlait avec cette assurance, c’est qu’elle la connaissait très intimement, cette femme qui convenait si bien à Frantz Risler… Elle n’avait qu’un an de moins que lui, juste ce qu’il faut pour être plus jeune que son mari et pouvoir lui servir de mère en même temps, « Jolie ? » Non, pas précisément, mais plutôt gentille que laide, malgré son infirmité, car elle boitait, la pauvre petite !… Et puis, fine, éveillée et si aimante ! Personne autre que Désirée ne savait à quel point cette petite femme-là aimait Frantz et comme elle pensait à lui nuit et jour depuis des années. Lui-même ne s’en était pas aperçu, et semblait n’avoir des yeux que pour Sidonie, une gamine. Mais c’est égal ! L’amour silencieux est si éloquent, une si grande force se cache dans les sentiments contenus… Qui sait ? Peut-être un jour ou l’autre…