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cris des tireurs, les grands coups sourds des barres d’impression, le souffle puissant et rythmé des machines, et tous ces bruits du travail, confondus dans sa mémoire avec des souvenirs de fêtes, de coupés bleus, la poursuivaient obstinément.

Cela parlait plus haut que le fracas des omnibus, les cris de la rue, les cascades des ruisseaux ; et même à l’atelier, quand elle triait les perles fausses, même le soir chez ses parents, quand elle venait après dîner respirer l’air à la fenêtre du palier et regarder dans la nuit la fabrique éteinte et déserte, toujours ce murmure actif bourdonnait à ses oreilles, faisant comme un accompagnement continuel à sa pensée.

– La petite s’ennuie, madame Chèbe… Il faut la distraire… Dimanche prochain, je vous emmène tous à la campagne.

Ces promenades du dimanche, que le bon Risler organisait pour désennuyer Sidonie, ne faisaient que l’attrister davantage. Ces jours-là il fallait se lever à quatre heures du matin, car les pauvres achètent tous leurs plaisirs, et il y avait toujours quelque chiffon à repasser au dernier moment, une garniture à coudre pour essayer de rajeunir l’éternelle petite robe lilas à raies blanches que madame Chèbe rallongeait consciencieusement chaque année.

On partait tous ensemble, les Chèbe, les Risler, l’illustre Delobelle. Seules, Désirée et sa mère n’en étaient pas. La pauvre petite infirme, humiliée de sa