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« Était-ce beau’?… t’es-tu bien amusée ? » lui demandait tout bas madame Chèbe en défaisant une à une les agrafes du brillant costume.

Et Sidonie, accablée de fatigue, s’endormait debout sans répondre, commençant un beau rêve qui devait durer toute sa jeunesse et lui coûter bien des larmes, Claire Fromont tint parole. Sidonie vint jouer souvent dans le beau jardin sablé, et put voir de près les stores découpés, la volière à fils d’or. Elle connut tous les coins et les recoins de l’immense fabrique, fit de grandes parties de cache-cache derrière les tables d’impression, dans la solitude des après-midi de dimanche, Aux jours de fête, elle avait son couvert mis à la table des enfants.

Tout le monde l’aimait, sans qu’elle témoignât jamais beaucoup d’affection à personne.

Tant qu’elle était au milieu de ce luxe, elle se sentait tendre, heureuse, comme embellie, mais rentrée chez ses parents, quand elle voyait la fabrique à travers les vitres ternes de la fenêtre du palier, il y avait en elle un regret, une colère inexplicables.

Et pourtant, Claire Fromont la traitait bien en amie. Quelquefois on l’emmenait au Bois, aux Tuileries, dans le fameux coupé bleu, ou bien à la campagne, passer toute une semaine au château du grand-père Gardinois, à Savigny-sur-Orge. Grâce aux cadeaux de Risler, très fier des succès de sa petite, elle était toujours gentille, bien arrangée. Madame Chèbe s’en faisait un point d’honneur, et la jolie boiteuse était là