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ce grand dadais de Frantz avait envie de pleurer.

Un an encore après cette heureuse soirée, on aurait pu demander à Sidonie quelles fleurs décoraient les antichambres, la couleur des meubles, l’air de danse que l’on jouait au moment de son entrée au bal, tant l’impression de son plaisir avait été profonde. Elle n’oublia rien, ni les costumes qui tourbillonnaient autour d’elle, ni ces rires d’enfants, ni tous ces petits pas qui se pressaient sur les parquets glissants. Un moment, assise au bord d’un grand canapé de soie rouge, pendant qu’elle prenait sur le plateau tendu devant elle le premier sorbet de sa vie, elle songea tout à coup à l’escalier noir, au petit appartement sans air de ses parents, et cela lui fit l’effet d’un pays lointain, quitté pour toujours.

Du reste, elle fut trouvée ravissante, admirée et choyée de tous. Claire Fromont, une miniature de Cauchoise tout en dentelles, la présenta à son cousin Georges, un magnifique hussard qui se retournait à chaque pas pour voir l’effet de sa sabretache.

– Tu entends, Georges, c’est mon amie. Elle viendra jouer avec nous, le dimanche… Maman l’a permis.

Et dans l’expansion naïve d’une enfant heureuse, elle embrassait la petite Chèbe de tout son cœur. Pourtant, il fallut partir… Longtemps encore, dans la rue noire où la neige fondait, dans l’escalier éteint, dans la chambre endormie où l’attendait sa mère, la lumière éclatante des salons brilla devant ses yeux éblouis.