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en tirant de toutes ses forces sur la corde… comme ça… han !… Et il faut croire que c’était bien son idée de mourir, car on a trouvé dans sa poche un rasoir dont il se serait servi au cas où la corde aurait cassé.

Dans la foule une voix dit : « Pauvre diable !… » Ensuite une autre, mais celle-là tremblante, étranglée par l’émotion, demanda timidement :

– Est-ce qu’on est bien sûr qu’il serait mort ?

Tout le monde se mit à rire en regardant Planus.

– En voilà un vieux serin, fit le douanier… Puisque je vous dis qu’il était tout bleu ce matin, quand nous l’avons décroché pour le porter à la caserne des chasseurs.

Elle n’était pas loin, cette caserne ; et pourtant Sigismond Planus eut toutes les peines du monde à se traîner jusque-là. Il avait beau se dire que les suicides ne sont pas rares à Paris, surtout dans ces parages, que pas un jour ne se passe sans qu’on relève un cadavre sur cette longue ligne des fortifications, comme sur le rivage d’une mer dangereuse, rien ne pouvait le distraire de l’affreux pressentiment qui, depuis le matin, lui serrait le cœur.

– Ah ! vous venez pour le pendu, lui dit le mar-chef de planton à la porte de la caserne… tenez ! Il est là.

On avait étendu le corps, dans une espèce de remise, sur une table à tréteaux. Un manteau de cavalerie, jeté dessus, le recouvrait entièrement, tombait avec ces plis de linceul que la rigidité de la mort creuse partout autour d’elle. Un groupe d’officiers, quelques soldats en pantalons de toile regardaient de loin en causant à