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Mais l’autre se serait bien gardé de l’abandonner ainsi à son désespoir. Sans que Risler s’en aperçût, il l’entraînait loin de la fabrique, et l’intelligence de son cœur inspirant au vieux caissier ce qu’il devait dire à son ami, pendant toute la route il ne lui avait parlé que de Frantz, son petit Frantz qu’il aimait tant.

« Ça, oui, c’était de l’affection, et vraie, et sûre… Pas de trahison à craindre avec des cœurs comme celui-là !… »

Tout en parlant, ils avaient quitté le Paris bruyant du centre. Ils marchaient maintenant le long des quais, frôlaient le Jardin des Plantes, s’enfonçaient dans le faubourg Saint-Marceau. Risler se laissait conduire. Les paroles de Planus lui faisaient tant de bien !

Ils arrivaient ainsi tout près de la Bièvre, bordée en cet endroit de tanneries, dont les grands séchoirs à claire-voie se rayaient de bleu sur le fond du ciel, puis, dans les plaines vagues de Montsouris, vastes terrains brûlés et pelés par le souffle de feu que Paris répand autour de son travail journalier, comme un dragon gigantesque dont l’haleine de fumée, de vapeur, ne souffre aucune végétation à sa portée.

De Montsouris aux fortifications de Montrouge il n’y a qu’un pas. Une fois-là, Planus n’eut pas grand’peine à entraîner son ami chez lui. Il pensait avec raison que son intérieur calme, le spectacle d’une amitié fraternelle, paisible et dévouée, mettrait au cœur de cet infortuné comme un avant-goût du bonheur qui l’attendait près de son frère Frantz. Et, en effet, à peine étaient-ils entrés, que le charme de la petite maison opérait déjà.