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– Mange de ça… c’est bon.

L’autre, malgré son désir de faire honneur à la fête, semblait préoccupé et regardait toujours par la fenêtre.

– Te rappelles-tu, Sigismond ?… fit-il au bout d’un moment.

Le vieux caissier, tout à ses souvenirs d’autrefois, aux débuts de Risler à la fabrique répondit :

– Je crois bien que je me rappelle… tiens ! La première fois que nous avons dîné ensemble au Palais-Royal, c’était en février 46, l’année où on a installé les planches-plates à la maison.

Risler secoua la tête :

– Oh ! non…, moi je parle d’il y a trois ans… C’est là, en face, que nous avons dîné ce fameux soir.

Et il lui montrait les grandes fenêtres du salon de Véfour que le soleil couchant allumait comme les lustres d’un repas de noces, – Tiens ! c’est vrai…, murmura Sigismond un peu confus. Quelle idée malheureuse il avait eue d’amener son ami dans un endroit qui lui rappelait des choses si pénibles !

Risler, ne voulant pas attrister le repas, leva son verre brusquement.

– Allons ! à ta santé, mon vieux camarade.

Il essayait de détourner la conversation. Mais une minute après, lui-même la remettait sur ce sujet-la, et tout bas, comme s’il avait honte, il demandait à Sigismond :

– Est-ce que tu l’as vue ?

– Ta femme ?… Non, jamais.