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que, plus tard, lorsqu’il en devint tout à fait amoureux, personne n’aurait pu dire à quelle époque cela avait commencé.

Si choyée qu’elle fût dans ces deux intérieurs, il arrivait toujours un moment où la petite Chèbe se sauvait à la fenêtre du palier. C’est encore là qu’elle trouvait sa plus grande distraction, un horizon toujours ouvert, quelque chose comme une vision de l’avenir vers laquelle elle se penchait curieusement et sans frayeur, car les enfants n’ont pas de vertige. Entre les toits d’ardoises inclinés l’un vers l’autre, le grand mur de la fabrique, les cimes des platanes du jardin, les ateliers vitrés lui apparaissaient comme une terre promise, le pays de ses rêves. Cette maison Fromont était pour elle le dernier mot de la richesse.

La place qu’elle tenait dans tout ce coin du Marais, enveloppé à certaines heures de sa fumée et de son train d’usine, l’enthousiasme de Risler, ses récits fabuleux sur la fortune, la bonté, l’habileté de son patron, avaient éveillé cette curiosité d’enfant ; et ce qu’on pouvait voir des bâtiments d’habitation, les stores fins en bois découpé, le perron arrondi devant lequel se rangeaient des meubles de jardin, une grande volière de laiton blanc qui brillait au soleil, traversée de fils dorés, le coupé bleu attelé dans la cour, étaient autant d’objets pour sa constante admiration.

Elle connaissait toutes les habitudes de la maison : l’heure à laquelle on sonnait la cloche, la sortie des ouvriers, les samedis de paye qui tenaient la petite