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Ce qu’il restait encore de l’âme de Désirée dans cet intérieur misérable où elle avait vécu pendant vingt ans, dut frémir à cette déclaration terrible. Il ne renoncerait jamais !… Delobelle continua :

– Ils auront beau dire, vois-tu, c’est encore le plus beau métier du monde. On est libre, on ne dépend de personne. Tout à la gloire et au public !… Ah ! je sais bien ce que je ferais à ta place. Tu n’étais pas née pour vivre avec tous ces bourgeois, que diable !… Il te fallait l’existence artistique, la fièvre du succès, l’imprévu, les émotions.

En parlant, il s’était assis, nouait sa serviette au menton, se servait une grande assiettée de soupe.

– … Sans compter que tes succès de jolie femme ne nuiraient pas à tes succès d’actrice… Tiens ! sais-tu ? tu devrais prendre quelques leçons de déclamation. Avec ta voix, ton intelligence, tes moyens, tu aurais un avenir magnifique.

Et tout à coup, comme pour l’initier aux joies de l’art dramatique :

– Mais, j’y pense, tu n’as pas soupé ?… ça creuse, les émotions ; mets-toi là, prends cette assiette. Je suis sûr que tu n’as pas mangé de soupe au fromage depuis longtemps.

Il bouleversa l’armoire pour lui trouver un couvert, une serviette ; et elle s’assit en face de lui, en l’aidant et riant un peu des difficultés de l’installation. Déjà elle était moins pâle. Il y avait même dans ses yeux un joli éclat fait des larmes de tout à l’heure et de la gaieté de maintenant.