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femme a soutiré au malheureux Fromont, la maison d’Asnières, les diamants et le reste, tout cela doit être placé sous son nom, à l’abri des catastrophes ; et vous allez sans doute pouvoir vous retirer des affaires maintenant.

« Oh !… Oh !… » fit Risler d’une voix éteinte, comprimée plutôt, insuffisante à la foule de pensées qu’elle aurait voulu exprimer ; et tout en bégayant, il tirait le grillage à lui avec tant de violence, qu’il en déchira tout un morceau. À la fin il chancela, roula sur le carreau et resta sans un mouvement, sans une parole, gardant seulement dans ce qu’il y avait encore de vivant en lui la ferme volonté de ne pas mourir avant de s’être justifié. Il fallait que cette volonté fût bien puissante ; car, pendant que ses tempes battaient, martelées par le sang qui lui bleuissait la face, pendant que ses oreilles bourdonnaient, que ses yeux voilés semblaient déjà tournés vers l’inconnu terrible, le malheureux se disait à lui-même d’une voix inintelligible, cette voix des naufragés qui parlent avec de l’eau plein la bouche dans le grand vent d’une tempête : « il faut vivre… il faut vivre… »

Quand la conscience des choses lui revint, il était assis sur le divan où les ouvriers s’entassaient les jours de paye, son manteau à terre, sa cravate dénouée, sa chemise ouverte, fendue par le canif de Sigismond. Heureusement pour lui, il s’était coupé les mains en arrachant le grillage, le sang avait coulé abondamment, et ce détail avait suffi pour le sauver d’une attaque d’apoplexie En rouvrant les yeux, il aperçut, à ses côtés le